LES CANNES À MOUCHE de DANIEL BRÉMOND
Accueil | Genèse | Structure alvéolaire | Assemblage par épissures | Études de profils | Résultats théoriques | Souvenirs | Contact |
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C’est l’expression que j’ai choisie pour désigner la méthode d’allègement avec le maintien de cloisons internes que j’ai mise au point en 1972/73 et décrite dans l’article « « Pour quelques grammes de moins » paru dans « Plaisirs de la Pêche » puis avec plus de détails et photos dans « de A à Z » paru en 1983 dans la revue « Pécheurs sportifs ». Cet article se termine par : « je ne protège aucun secret de fabrication et je suis prêt à répondre à toutes les questions» . Je n’ai pas changé d’avis c’est pourquoi dans ce site, je reviens sur les techniques que j’ai mises au point et présente mes dernières recherches de l’année 2020. Je me félicite que cette première « structure alvéolaire » ait été reprise. C’est à postériori la preuve que c’était une bonne idée ! Et c’est aussi une satisfaction que d’avoir gardé le contact avec plusieurs amateurs auxquels je l’avais expliquée et qui comptent depuis au nombre de mes amis. |
1) La genèse des cannes alvéolaires en 1972/73.
La passion pour la pêche qui m’avait conduit à quitter Paris pour mener mes études universitaires, d’abord en Haute Savoie, puis en Franche-Comté, également le souci de la rationalité des formes, de leur optimalisation, une habitude des travaux précis, modèles réduits, montages de mouches, mais aussi une conjonction de circonstances favorables sont à l’origine de la « structure alvéolaire» . J’ai appris, bien plus tard, qu’il existait des cannes en bambou refendu creuses, par exemple les « Phantom» de Hardy et les astucieuses « Powell », mais c’est en toute indépendance que j’ai eu l’idée originale de reproduire la structure même du bambou, avec ses nœuds espacés.
L’idée a germé à Besançon, si près de la Loue et du Lison, merveilleuses rivières à l’époque, où j’avais eu la chance de rencontrer Jean Paul PEQUEGNOT, pêcheur passionné, enthousiaste, dont le talent d’écrivain halieutique était déjà reconnu en 1972. Avant de lui parler de mon projet j’avais, à titre d’essai, décollé puis recollé des scions anciens. Je me souviens de mon étonnement devant le vrillage des baguettes rassemblées par une spirale de fil. Une expérience qui m’avait fait comprendre qu’il fallait la compléter en retour pour que les couples de torsion se neutralisent !
Dans les circonstances favorables à la réalisation de mon idée figurent deux produits nouvellement disponibles dans les années 70 : un Scotch double face de 3M particulier, réduit au seul adhésif déposé sur une pellicule antiadhésive qui m’a permis de fixer et immobiliser les baguettes temporairement pendant le creusement des alvéoles. Des produits équivalents sont maintenant désignés comme « ruban adhésif transfert ». L’autre c’est l’Araldite de Ciba-Geigy, qui fut la première colle époxy à usage non professionnel. Son durcissement par polymérisation, sans évaporation d’un solvant, est idéal pour des cannes creuses. Depuis, sont apparues des colles plus performantes (résorcines…), mais je n’ai jamais, sur la centaine de cannes que j’ai construites, constaté de décollement. L’Araldite, sous un autre nom, est toujours commercialisée. Par sa durée de polymérisation, par sa fluidité qui augmente avec la température, elle me paraît toujours proche de l’idéal. Elle peut servir de vernis, d’enduit parfait pour les ligatures. Sans cette résine j’aurais été bien embarrassé pour protéger les biseaux des assemblages en épissure (en sifflet dit Josselin de LESPINAY). Elle est même réversible puisqu’elle perd sa résistance mécanique à une température que supporte le bambou. Ça ne sert pas souvent mais sait-on jamais ! Enfin, sans la notoriété de Jean Paul PEQUEGNOT, Pezon & Michel, manufacturier reconnu au niveau mondial pour la qualité de ses cannes en bambou refendu, aurait-il accepté de nous fournir des baguettes pré-taillées ? Cet ami n’est plus, je pense à lui souvent, à l’amitié et à la générosité qu’il m’avait témoignées. J’étais souvent invité à sa table et sur son petit parcours sur la Loue à Maisières.
Pour sa première commande à Pezon & Michel, JPP, incertain du bien-fondé de mon projet, s’était prudemment limité à des baguettes pour un talon et un scion déjà collé. Le creusement des baguettes et leur assemblage n’a pas présenté de difficultés particulières. Malgré la prise assez rapide de la colle vinylique, ce premier talon alvéolaire n’avait pas de défaut de rectitude ni de vrillage.
L’idée de radiographier l’élément pour le distinguer d’un talon plein s’imposait, ce qui a été réalisé par un de ses confrères : les alvéoles étaient bien visibles ! C’était, au plus tard, en 1973 (je me repère par rapport à mon déménagement pour Champagnole en 1974). Je n’avais pas de balance suffisamment précise pour évaluer l’allègement mais les proportions creux/plein étaient proches de ce que j’ai fait plus tard. Après quelque usage, ce talon s’est décollé ; je l’ai démonté et recollé cette fois définitivement à l’Araldite. J’ai osé baptiser la canne « Priape », façon de montrer ma préférence pour des cannes... qui plient peu ! Je l’ai soigneusement conservée. L’élément creux est parfaitement homogène quand on le fait tourner en le pliant : pas de point dur ce qui prouve que les cloisons maintenues jouaient bien leur rôle en empêchant l’enfoncement de certaines baguettes par rapport à d’autres au moment du collage.
Dans la suite, pour toutes mes autres commandes, transmises par JPP, puis directement auprès de P & M j’ai toujours demandé des baguettes pour les talons et pour les scions, tous alvéolaires sur mes cannes. Je termine en ajoutant que, sans l’amabilité de la maison Pezon & Michel, les cannes alvéolaires n’existeraient peut être pas. De plus, sans ces facilités d’expérimentation, aurais-je persévéré jusqu’à la construction de cannes en partant des troncs de bambou, comme je l’ai expliqué dans un nouvel article « de A à Z » publié dans le numéro 49 de juillet/août 1983 de la revue « Pêcheurs sportifs » (voir 3e paragraphe).
Dans ma méthode d’allégement je prévoyais au départ de casser l’angle intérieur des baguettes pour que les alvéoles communiquent. Or, quand je l’avais expliquée à Jean Paul PEQUEGNOT, il m’avait convaincu du contraire. A l’usage, je suis revenu à l’idée initiale. Évidemment, ce n’est pas pour que l’air puisse circuler, mais simplement pour diminuer les surfaces en contact, éviter que les angles intérieurs ne se touchent au centre de l’hexagone reconstitué, toutes causes qui peuvent nuire au serrage et augmenter l’épaisseur des joints de colle. Je propose aussi d’essuyer la colle sur les surfaces internes avant de ligaturer. (Voir le schéma à la fin du paragraphe 3)
2) Pourquoi faut-il creuser ? Plusieurs justifications :
a) La principale tient à une réalité physique : la résistance à la flexion d’une tige de section hexagonale (ou circulaire) dépend d’une grandeur nommée « moment quadratique » désignée par \(I\) ou \(Q\) qui est proportionnelle à la puissance 4 de la cote sur plats C (ou au diamètre D) (cette question est largement développée dans les chapitres « Études de profils » et « Résultats théoriques »).
Mais par ailleurs, sa masse de bambou \(m_b\) pour une longueur donnée de la tige, est proportionnelle au carré de C (ou D). Alors, imaginons que l’on creuse à moitié : on ôte un hexagone de cote sur plats C/2 concentrique au contour extérieur. Son moment quadratique \(I’\) vaut 1/16 de celui de l’hexagone plein \( \left(\dfrac{I’}{I} = \dfrac{1}{2^4} = 0,0625 \right)\) , mais sa masse \(m_b’\) , pour la même longueur de tige, est le quart de celle de l’hexagone plein \( \left(\dfrac{m_b’}{m_b} = \dfrac{1}{2^2} = 0,25 \right)\). On perd donc 6,25% en raideur mais 25% en masse ! On peut en conclure que les fibres extérieures sont soulagées de ne pas devoir entrainer celles du dessous !
b) Si on remplace une section hexagonale pleine de diamètre \(D\) (cote sur plats) par une section creuse de telle façon que le moment quadratique \(I\), donc la résistance à la torsion soit conservée, il faut légèrement augmenter son diamètre \(D'\). Qu’en est-il de la masse ?
\(k\) est le rapport d’augmentation du diamètre extérieur : \(k = \dfrac {D’ - d} {D}\)
\(d\) est le diamètre de l’évidement
\(\alpha\) est le rapport d’allègement : \(\alpha = \dfrac {D-\left( D'-d\right)} {D} = 1-\dfrac{D'-d}{D}\)
Le tableau ci-dessous est établi pour un diamètre extérieur initial de 8 mm, une cote commune en sortie de poignée.
\(D_{mm}\) | 8 | 8 | 8 | 8 | 8 | 8 | 8 | 8 |
\(D'_{mm}\) | 8.04 | 8.05 | 8.06 | 8.08 | 8.1 | 8.2 | 8.3 | 8.4 |
\(k\) | 1.005 | 1.00625 | 1.0075 | 1.01 | 1.0125 | 1.025 | 1.0375 | 1.05 |
\(d_{mm}\) | 3 | 3.19 | 3.34 | 3.6 | 3.8 | 4.54 | 5.05 | 5.45 |
\(\alpha\) | 0.13 | 0.146 | 0.16 | 0.18 | 0.20 | 0.27 | 0.32 | 0.36 |
Attachons nous à la première colonne : pour compenser un creux de 3 mm de diamètre il suffit d’augmenter le diamètre extérieur de seulement 0,04mm soit de 0,5%. De ce fait l’allègement est déjà de 13 % !
Un allègement de 27 % reste raisonnable (voir colonne 6) : il reste une épaisseur de bambou \(e\) = (8.2 - 4.54) / 2 soit \(e\) = 1.83 mm.
Je n’ai pas tenté d’aller au-delà. C’est peut être possible, à condition de resserrer les points d’appuis, donc de diminuer la longueur des alvéoles. Merci, si vous avez expérimenté des allègements plus prononcés, de me faire part des résultats. Voir en fin de ce chapitre la note de décembre 2020.
c) Les formes que l'on observe chez les êtres vivants, soumises aux déformations et aux chocs sont, de par la sélection naturelle, d'une certaine façon forcément rationnelles. Ainsi, si vous m’autorisez une digression, d’omelettes en omelettes accidentelles, la forme d’une coquille d’œuf de poule est devenue telle que, malgré sa minceur, il est impossible de la briser quand on l’écrase entre les paumes des deux mains jointes dans le sens du grand axe. Or, les tiges des plumes d’oiseaux sont creuses, les bambous sont creux ! Des exemples qui incitent à abandonner les cannes pleines !
3) Et pourquoi la structure alvéolaire ? Pourquoi ne pas creuser tout du long ? Pourquoi maintenir des cloisons ?
Une première raison, comme je l’ai déjà dit, c’est d’empêcher que des baguettes s’enfoncent par rapport à d’autres au moment du collage, aboutissant à un hexagone ″aplati″. Ce défaut produit une diminution de la résistance à la flexion dans une direction et son augmentation dans la direction perpendiculaire. On a une ellipse d’inertie à la place d’un cercle !
La deuxième raison c’est que les cloisons jouent le rôle de raidisseur, empêchant la section hexagonale de se déformer quand la canne se plie (problème analogue à l’ovalisation des cannes en fibres synthétiques).
Enfin, la troisième raison est de neutraliser autant que possible l’affaiblissement au niveau des nœuds où l’on conserve quasiment toute l’épaisseur des baguettes. C’est, d’une certaine façon, comme je l'ai dit en introduction, reproduire la structure naturelle d’un tronc de bambou.
4) Amélioration d’une canne en adoptant la structure alvéolaire.
Partant d’un modèle que l’on apprécie et dont on connaît les cotes, c'est-à-dire le profil, comment l’améliorer ?
Déjà, il n’est pas question de se plonger dans des calculs en vue d’augmenter les cotes sur plats pour compenser la faible perte de raideur due à l’allègement.
En effet, en prenant l’exemple d’une cote de 8 mm, il est possible, sans risque, de ne laisser qu’une épaisseur de 1,8 mm de fibres. Dans ce cas le creux hexagonal a une cote sur plats de 4,4 mm (8 - 1,8 x 2 = 4,4) et le rapport d’évidement creux/plein, C’/C est de 55% (4,4 / 8 = 0,55). La perte de raideur (diminution du moment quadratique) en pourcentage est de 10% (4,44 / 84 = 0,0915... ). Cet « affaiblissement », que j’ai volontairement majoré, car les fibres internes que l’on ôte sont loin d’avoir la même résistance que les fibres de la périphérie, si l’on respecte le rapport d’évidement tout au long de la canne, fera que sous une charge fixe, elle pliera plus (les rayons de courbures baisseront tout du long de 10%). Mais l’allégement de 30% (4,42 / 82 = 0,3025) fera qu’au cours du lancer, grâce à la baisse de l’inertie de l’ensemble canne/soie, la canne pliera moins, sera capable d’une plus grande accélération, l’énergie nécessaire aux lancers sera diminuée, donc moins de fatigue ! La diminution de l’épaisseur des joints de colle soumis à de plus fortes pressions du fait des plus petites surfaces en contact s’ajoute à l’intérêt d’une canne creuse ou « holow built cane rod » des anglo-saxons. Enfin, comme déjà dit, la présence des raidisseurs (les renforts maintenus) qui empêchent la déformation de la structure et permettent de pousser l’allègement, voilà concrètement ce qu’apporte la structure alvéolaire.
Dans le chapitre « Assemblage par épissure » malgré les réserves vues plus haut, je retiendrai cette diminution de 10% de la raideur.
5) Mes outils et technique d’allègement.
Le temps a passé et ma technique d’allégement, au gré des reprises, connaît des évolutions.
Alors que j’immobilisais les baguettes en fixant leur dos sur un support mélaminé 150 x 6 x 1,9 par un ruban adhésif « transfert », je crois que la plupart des nouveaux constructeurs utilisent avec succès des systèmes de serre-joints, qu’ils déplacent au fur et à mesure du creusement des alvéoles.
Les différentes méthodes ont leurs avantages. La fixation par un adhésif, tout du long des baguettes, est certainement moins solide mais elle permet une vue d’ensemble, facilite l’encollage qui n’est pas gêné par une fixation par le dessus. Si on fluidifie la résine epoxy sous le souffle d’un sèche-cheveux, la couche étalée avec une brosse à dents est très mince et surtout, la colle ne peut pas passer sous les baguettes. C’est facile aussi d’essuyer toutes les faces internes.
Je n’ai jamais utilisé que des outils à main pour creuser les alvéoles. Leur ébauche est faite avec des tranchets de cordonniers qui présentent par rapport aux cutters l’avantage d’une lame très fine avec un fil légèrement courbé qu’on peut affûter telle un rasoir. Un test, outre de se raser l’avant bras (!), c’est de pouvoir découper de fins copeaux de liège comme je le pratique pour dégrossir mes poignées triangulaires, ce qui est impossible avec un cutter. Parce qu’ils sont très minces, ces tranchets m’aident aussi à décoller les baguettes qu’on ne peut pas simplement soulever à la main du fait de leur extrême souplesse après le creusement des alvéoles.
Pour la finition, différents grattoirs, des limes d’affûtage, au départ de la marque Oberg, maintenant Bahco, qui ont la particularité d’avoir des stries parallèles non croisées. Un des champs est arrondi, l’autre est droit. Le champ arrondi aide à donner le galbe des cloisons. Ces limes sont aussi mon principal outil pour usiner les baguettes selon mes profils calculés (voir le chapitre « Études de profils » ).
Je tiens à ce creusement non mécanisé qui permet d’apprécier la qualité des fibres de plus en plus denses quand on se rapproche de la cuticule qui protège les troncs. Par rapport aux arbres, c’est l’inverse de l’aubier et du cœur, le bois dur des bambous est en périphérie ! C’est le prodige de l’évolution de ces espèces de graminées qui a abouti à la meilleure disposition au sens de la résistance des matériaux.
6) Allègements « pour la main », allègements « pour la canne ».
Dans l’article « Pour quelques grammes de moins » outre la « structure alvéolaire » j’explique comme il se doit ma chasse aux grammes dans tous les détails de la canne, dont la poignée et le porte moulinet. Plus tard j’allégerais les moulinets eux-mêmes dont un Abeille construit par le génial Julien CORDEL (voir plus loin).
Jean Paul PEQUEGNOT était allé plus loin avec un simple moulinet manuel fixé sur un baudrier et non sur la canne ! Force est de reconnaître que c’est très efficace. La main semble libérée, elle se déplace d’elle-même au cours des lancers. A défaut de ce dispositif, quiconque fera l’essai de lancer avec le moulinet au sol et les boucles de soie lovées à ses pieds, comprendra que l’idée de rapprocher le centre de gravité de l’ensemble canne/moulinet de la main, avec un moulinet lourd, sous le prétexte « d’équilibrer » la canne, est simplement erronée.
Mais il s’agit là d’allègements pour soulager la main.
C’est encore plus utile d’alléger la canne pour elle-même, pour qu’elle n’ait pas à entraîner des masses inutiles, pour diminuer son inertie. Ainsi elle fatigue moins et répond plus vite aux impulsions que nous lui donnons. Le bénéfice de l’allègement est d’autant plus important qu’il concerne les parties de la canne qui se déplacent le plus vite.
Je fais l’analogie avec les moulinets de Julien CORDEL : équipés d’un lourd ressort en acier, d’un axe central du même matériau, de rouages en aluminium, la chaîne cinématique se terminait par une bobine ultra légère, d’apparence fragile. Or la qualité reconnue et la robustesse de ce moulinet tenait pour beaucoup à cette légèreté de la bobine, vive à élancer, vive à freiner, minimisant les contraintes. On retrouve ce problème sur les véhicules montés sur roues, des trains aux vélos : « dreil faut alléger les masses tournantes » ! Photos : vue de face du moulinet Abeille allégé à 188 g. Vue de dos qui illustre l’allègement des masses tournantes.
Il en est de même pour les cannes à mouche, c’est pourquoi toutes mes démarches ont contribué à alléger les parties les plus mobiles de la canne. Dans un premier temps, les quelques grammes que j’ai pu gagner sur le scion grâce à la structure alvéolaire se sont montrés plus efficaces que l’allègement du porte moulinet. J’ai aussi allégé les viroles classiques en maillechort puis j’ai mis au point la forme rationnelle de l’assemblage par épissure dont le surpoids est négligeable. Mes profils tendant à l’égale contrainte visent au maximum de puissance pour la moindre masse. Voir les chapitres suivants.
Ceci étant, toute canne, de construction personnelle ou du commerce, peut être améliorée par le simple changement du minuscule anneau de tête.
Quiconque a déjà eu en main un scion non encore équipé de ses anneaux a pu mesurer combien ils modifiaient son comportement. Si on agite un scion nu il suit instantanément toutes les impulsions et est capable de se déplacer si vite qu’il produit un bruit d’air déchiré. Quel changement simplement en le coiffant d’un anneau de tête. On ressent une inertie, un retard à la mise en mouvement et même un contre mouvement : au moment de l’impulsion, pendant un court instant l’anneau de tête part à contre sens. Quand au bruit, du fait de la variation de la vitesse, il permet de dire les yeux fermés si on a ou pas monté les anneaux !
Cette différence amène deux conséquences une fois la canne montée : l’extrême difficulté ou même l’impossibilité de lancer très court et un ferrage « à détente » donc retardé et plus brutal.
Il importe donc d’équiper la canne avec les anneaux les plus légers possible, surtout l’anneau de tête parce qu’il est celui qui se déplace le plus vite et qu’il est propulsé par la partie la plus fine de la canne.
7) Les anneaux de tête.
En photo trois anneaux : le premier modèle avec un anneau en carbure de tungstène était utilisé par Walter BRUNNER. Après raccourcissement du tube : 0,8 g. Le second est d’un type classique chromé dur. Le tube est aussi raccourci : 0,7 g. Le dernier avec un œillet en céramique serti dans un mince anneau en acier : 0,15 g ! Il n’a pas une silhouette habituelle. C’est un anneau mono patte que j’ai modifié.
Ce sont trois bons anneaux, en particulier le premier est inusable mais « il n’y a pas photo », en l’occurrence « pas de trébuchet » ! Si on veut conserver la spontanéité des déplacements du scion, il n’y a pas d’autre solution que d’adopter le troisième.
Explications : comme déjà dit la base est un anneau mono patte.
1re étape : on supprime le coude entre le pied et la patte.
2e étape, la plus délicate : on amène l’œillet perpendiculaire au pied et patte qu’on avait alignés (la tige). Pour cela il faut pousser sur la tige en même temps qu’on la tord.
3e étape : on diminue à la lime la longueur et la largeur de la tige transformée en une fine languette, acérée et biseautée sur ses bords. Pour mes scions, avec une cote sur plats en pointe de 1,4 mm, la languette doit avoir une largeur maximale de 1,6 mm qui est le diamètre du cercle circonscrit de la section hexagonale.
4e étape : on taille un biseau sur la moitié inférieure de la pointe du scion de même longueur que la languette. On ajuste la languette au biseau.
5e étape : on maintien la languette en place par quelques tours de fil ou une goutte de colle contact.
6e étape : on ligature la languette sur le scion. Il n’est pas nécessaire d’aller plus loin que sa pointe.
7e étape : on enduit la ligature avec un vernis époxy ou une colle époxy (Araldite). On chauffe avec un sèche-cheveux pour chasser toutes les micro bulles d’air et, en tournant le scion, on aide à la répartition régulière de la résine qui doit déborder à peine de la ligature ; une fois polymérisée sa surface est brillante, comme un vernis. C’est parti pour plusieurs années d’usage ! Je ne connais pas de système qui soit plus léger tout en étant aussi résistant.
Note décembre 2020. Jusqu’où faut-il creuser !
En cette « annus horribilis» , l’année terrible 2020, j’ai eu la chance d’une reprise de contact avec mon cher ami Serge BODEAU qui m’a donné de nombreuses informations et posé de nombreuses questions.
Pour la structure alvéolaire (à la réflexion, « structure alvéolée » était mieux !) il m’a informé d’une méthode italienne dite en dents de requin, consistant en des alvéoles[1]Note [1] – À vrai dire ce sont plus des bulles d’air que des alvéoles ! très courts usinés avec une lime queue de rat ou cylindrique.
Également d’un de ses amis qui usine les alvéoles en maintenant, du talon au scion, une paroi de bambou régulière de 1 mm d’épaisseur. Serge dit « une toile » de 1 mm. Pour le scion, pourquoi pas, mais je n’ai jamais osé descendre si bas sur le talon, en particulier en sortie de poignée. Il me signale aussi, sur une de ses cannes de 260 cm, un alvéole de quarante millimètres de long avec une épaisseur de toile de seulement 0,8 mm, mais c’est toutefois à 50 cm de la pointe de scion. Dans ces deux cas, les joints de colle tiennent.
Ces informations ont éveillé mon intérêt et m’ont poussé à me pencher sur une question que je ne m’étais pas encore posée mais pourtant essentielle : Jusqu’où faut il creuser ? En début de chapitre ou dans l’article « Pour quelques grammes de moins » j’explique la décroissance plus rapide de la masse mobile de la canne par rapport à celle de sa résistance à la flexion qui améliore son comportement dynamique, mais sans fixer de limite à cet allégement. Dans ces conditions pourquoi ne pas réduire l’épaisseur des parois à celle d’une coquille d’œuf ?
C’est cette question que je viens de résoudre.
J’ai introduit le rapport \(k\) de creusement entre le creux et le plein. Si \(H\) est la hauteur initiale des baguettes et \(h\) celle du triangle qu’on a ôté ; ou, dans le cas d’un tube, \(R\) rayon extérieur et \(r\) rayon intérieur
\(k=\dfrac{h}{H}=\dfrac{r}{R}\) avec \(0 \leq k \; \lt \; 1\)
Et j’ai exprimé en fonction de \(k\) le coefficient d'allègement : masse restante / masse initiale, et le coefficient d'assouplissement : moment quadratique restant / moment quadratique initial.
Après simplification on a :
Masse restante sur masse initiale = \( \dfrac{(R^{2} - r^{2})}{R^{2}} = \dfrac{R^{2} \;(1-k^{2})}{R^{2}} = 1-k^{2}\)
Moment quadratique restant sur Moment quadratique initial = \( \dfrac{(R^{4} - r^{4})} {R^{4}} = \dfrac{ R^{4} \;(1 - k^{4})} {R^{4}} = 1-k^{4}\)
La représentation de ces fonctions vient confirmer l’utilité de l’allégement : on observe, pour les valeurs de \(k\) de 0 à 0,5, que la masse donc l’inertie de la canne dégringole alors que la résistance à la flexion se maintient. C’est là que réside l’intérêt de la structure alvéolée.
Par contre au-delà de 0,7 c’est la résistance à la flexion qui s’effondre par rapport à l’allègement.
Où est exactement la limite ? Un simple calcul de fonctions dérivées prouve que pour \(k= 1 / \sqrt{2} \) soit en valeur approchée 0,707, les pentes des décroissances sont égales. Au-delà de cette valeur, la diminution de résistance à la flexion dépasse la diminution de masse et comme celle de la ligne à propulser reste constante, la canne sera moins capable de l’accélérer. C’est le contraire de ce que l'on souhaite. En conclusion, pour améliorer un profil, il faut rester en dessous d’un coefficient de creusement de 0,707. Une bonne valeur de k serait seulement de 0,6 ? (voir tableau)
En tenant compte de la masse de la ligne à propulser qui reste constante, il faut impérativement rester en dessous de 0,707 car il ne s’agit pas de ramollir la canne. Les bonnes valeurs de \(k\) ? 0,65, 0,68 ?
Diamètre ou cote sur plats en mm | 8 | 7 | 6 | 5 | 4 | 3 | 2,4 |
Épaisseur de la paroi en mm | 1,6 | 1,4 | 1,2 | 1 | 0,8 | 0,6 | 0,48 |
Si cette proportion est maintenue sur toute la longueur de la canne, la masse restante représente 64 % de la masse initiale, l’allègement est donc de 36 %. Une valeur significative, voisine par exemple de la masse de la soie qu’on doit propulser ; et la résistance à la flexion représente 87,04 % de la valeur initiale, l’assouplissement n’est que de 13 %. Dans ces conditions il est certain que la canne sera plus vivace.
Mais 1,6 mm sous la main c’est peu et je recommande de rapprocher les cloisons ou raidisseurs : la longueur maximum des alvéoles doit être inférieure à 5 cm et ils doivent se raccourcir au fur et à mesure que l’épaisseur de la canne (la cote sur plats) diminue. Dans les derniers centimètres du scion, même si vous utilisez mes profils, très coniques dans cette zone, et avec une extrême minceur de la pointe réduite à 1,4 mm, je recommande de rabattre l’angle intérieur des baguettes. Ce n’est plus une question d’allègement, c’est pour tendre vers des joints de colle les plus minces possibles (question déjà évoquée plus haut).
Il me reste à commenter le creusement en « dents de requin ».
La question essentielle est : quel allègement apporte-t-il au regard de l’assouplissement qu’il provoque ? Dont la réponse décidera s’il apporte ou non une amélioration par rapport à une canne pleine ou à une canne réellement alvéolée.
Voici le schéma d’une baguette vue de profil :
Son coefficient d’assouplissement est donné par l’épaisseur minimum maintenue sous les bulles (puisqu’on ne peut pas parler d’alvéoles), délimitée pas la droite rouge.
Et l’allègement ? Le volume de ces bulles n’est pas simple à évaluer (il serait intéressant que les adeptes de cette méthode nous renseignent sur les masses de bambou avant et après creusement). Ce qu’on peut remarquer c’est que les raidisseurs sont très serrés, ils ne peuvent pas l’être plus ! Dans aucune construction connue, coque de bateau ou aile d’avion on ne trouve une telle disposition et elle est bien loin de mon idée initiale qui était de reproduire la structure même des troncs des bambous (ou chaumes).
Si l’on compare cette méthode avec celle que je préconise, ce qui revient à « édenter le requin », on constate la quantité de matière superflue !
De plus, les bulles avec leur forte courbure sont des « nids à colle », ce qui doit contribuer à rendre l’allègement négligeable alors que l’assouplissement ne l’est pas. En l’état de mes informations, je doute fort que la structure en « dents de requin » améliore le comportement des cannes. Des pesées avant creusement puis après collage, plus le contrôle de l’assouplissement aideraient à statuer. La comparaison des fréquences de vibration à vide d’une canne pleine et d’une canne en « dents de requin » de mêmes profils serait aussi un bon indice. À suivre...
En conclusion de cette note 2020, cette notion de coefficient de creusement limite que je viens de développer vient compléter, heureusement à mon sens, l’aspect théorique de la structure alvéolée alors que la première canne construite selon cette technique date de près de 50 ans ! Bravo et merci à Serge BODEAU d’avoir appuyé sur le bon déclic ! Il est probable, sauf erreur dans mon approche, que ce rapport \(1/ \sqrt{2} \) qui limite les creusements qui allègent de ceux qui affaiblissent la structure traîne dans de nombreux ouvrage de RDM (Résistance Des Matériaux).
Dole, le 14/12/20 - D.B.