L'assemblage par épissures

Mon apport à la technique d’assemblage en biseau par épissures, en sifflet pour Josselin de LESPINAY, ″spliced″ pour les anglais. Date : 1976

Au départ, c’est une méthode d’assemblage ancestrale, qui fait penser à une greffe.

Au titre des inconvénients :

• Une certaine fragilité quand la canne est démontée (il faut des “ protège-biseaux ” – voir les photos ci-dessus).
• La nécessité que le talon et le scion se chevauchent fait que leur longueur est supérieure à celle de la demi-canne.
• Le fait de ligaturer avec un ruban adhésif (mais que dire des viroles rétives ou qui prennent du jeu !)
• Sur les assemblages anciens, traditionnels, un défaut d’homogénéité de la résistance à la flexion. Un défaut majeur : la canne est plus raide dans le plan horizontal. Ce défaut est dû à des renforts de la section des brins au niveau de l’assemblage mal répartis (photo ci-dessous).

Mais, en contrepartie, que de qualités !

• Une solidité à toute épreuve une fois les brins assemblés : ce n’est pas pour rien si cette méthode a longtemps persisté pour les cannes à saumon.
• Une grande légèreté.
• Pas de corps étranger (sauf le ruban adhésif).
• Une parfaite continuité du profil, ce qui est inhérent au système : il faut que les cotes du talon et du scion soient rigoureusement les mêmes pour les assembler alors qu’il est difficile d’éviter un saut dans les diamètres avec des viroles.
• Enfin, et c’est l’essentiel de mon apport à cette technique ancienne, avec le dessin que j’ai mis au point, il n’est pas possible de déceler les yeux fermés, en pliant la canne et en la faisant tourner qu’il y a un assemblage entre le scion et le talon : aucun point dur.

La naissance d’un premier “ spliced ” moderne !

Un ami, Yves RAMEAUX, à la fois très grand pêcheur et très grand collectionneur, m’avait demandé de lui construire une canne, la plus sobre possible, donc justement avec un assemblage par épissure. Il m’avait confié comme modèle une Sharpe « Split Cane Fly Rod » en bambou imprégné. (Je n’ai jamais eu d’information sur cette imprégnation qui, à posteriori, m’a semblé très bien adaptée aux biseaux qui ne seraient pas suffisamment protégés par un vernis traditionnel). Son souhait était de conserver le profil hexagonal dans la zone d’assemblage, sans aucun renfort.

Au premier essai du prototype j’ai constaté un affaiblissement considérable de la résistance à la flexion dans le plan vertical (l’axe de la déformation et la fibre neutre sont horizontaux). Des calculs m’ont permis de vérifier qu’au milieu des biseaux, là où l’hexagone est partagé en deux, elle ne représentait plus que \(\dfrac{13}{45}\) de la section d’origine, soit à peine plus du quart. (Voir schéma des différentes résistances à la flexion, tracés en bleu et vert).

Comment y remédier ? Certainement pas en gonflant la section dans tous les sens parce que le partage en deux de la section conserve la résistance à la flexion dans le sens transversal. Il n’y avait la nécessité de rattraper la résistance à la flexion que dans le plan vertical.

Comment y parvenir ? J’ai eu l’idée de compléter les demi-hexagones par des baguettes triangulaires, collées sur leur petite base, possibilité qui demandait à être validée par le calcul. Et là, très bonne surprise : j’ai constaté qu’on pouvait, de cette façon, rattraper l’affaiblissement causé par le partage en deux de la section ! La résistance à la flexion des deux demi-hexagones devenus, du fait du renfort, des triangles équilatéraux, représente, dans toutes les directions de flexion, exactement les \(\dfrac{16}{15}\) de l’hexagone complet (tracé en rouge) ! Juste ce qu’il faut pour être sûr de pouvoir compenser l’affaiblissement lié au partage en deux ! (Le bambou n’est pas homogène, les fibres sont plus serrées vers la face extérieure, celle qui est collée, et moins denses au sommet du triangle).

Mais que se passe-t-il quand on s’éloigne du milieu de l’assemblage, quand l’hexagone initial est partagé en deux parties inégales ? Par exemple ¾ et ¼ de la cote sur plats. Dans ce cas il suffit d’un renfort moins haut : on ne complète pas par un triangle mais par un demi-trapèze. D’où la forme en losange très effilé des biseaux accolés (voir les illustrations de l'article « de A à Z »).

Il est possible mais un peu laborieux de calculer les épaisseurs des renforts pour, tout du long des biseaux accolés, compenser leur partage en deux, aussi j’ai préféré réaliser cette juste compensation expérimentalement. Pour cela il faut assembler les biseaux par un ruban adhésif, les mettre en flexion et imposer une rotation à l’ensemble. Tant que l’on ressent une raideur plus forte dans le plan vertical, il faut amincir le renfort, symétriquement par rapport au point médian, sachant qu’à cet endroit il faut se garder de diminuer la hauteur des baguettes de renfort et se limiter à arrondir l’angle vif. On répète les essais jusqu’à ce que la résistance à la flexion soit la même dans toutes les directions. C’est l’affaire de moins d’une heure de mise au point pour que les biseaux assemblés se comportent exactement comme une section hexagonale complète !

Cet ajustement réalisé, il est indispensable de protéger les deux zones d’assemblage par une résine époxy, chauffée pour qu’elle imprègne bien les fibres du bambou, en couche très mince étendue au doigt.

J’ai baptisé “ Lacédémone ” cette première canne “ spliced ” avec des biseaux calculés et non approximatifs, un nom choisi pour évoquer la sobriété du procédé.

Je précise que j’ai toujours usiné les faces d’assemblage à main levée, sans aucun guidage, de même l’ “ effilement ” des renforts, avec mes outils habituels, tranchet, lime d’affûtage, et pied à coulisse pour vérifier avec sa règle la planéité des biseaux.

Après “ Lacédémone ”, j’ai pratiquement abandonné l’utilisation de viroles et, depuis ce premier modèle, aucune de mes cannes n’a présenté de faiblesse au niveau de l’épissure.

Un détail amusant : quand on commence à enrouler le ruban perpendiculairement à la canne, la conicité de l’assemblage fait qu’il se place de lui-même en hélice puis se retrouve perpendiculaire quand on arrive à l’autre bout. De quoi nous couper le sifflet !

Des conseils (le 4^e est d'une portée générale) :

• Il faut adapter la longueur de l’assemblage à la section de la canne. Si les biseaux sont trop courts, le ruban adhésif glisse, des biseaux se déboîtent. Pour une section moyenne (cote sur plats de l’hexagone) de 6,3 mm, un assemblage de 14 cm est parfait.
• J’ai toujours partagé l’hexagone en deux parties égales au milieu des biseaux. En tenant compte de la conicité il faudrait que ce soit légèrement décalé vers le scion (voir schéma ci-dessous).

• On a vu que les résistances à la flexion additionnées des deux sections en triangle équilatéral au milieu de l’assemblage représentaient les \(\frac{16} {15}\) de celle de l’hexagone complet. C’est juste ou, si vous le permettez, ric-rac ! Le schéma illustre ce qu’il ne faut pas faire sous peine de ne pas compenser suffisamment. Je propose même, par sécurité, des renforts en deux parties, de façon à ne conserver que les zones où le bambou est le plus dense (voir schéma ci-dessous).

• Assemblage en biseau d’une canne alvéolaire.
  Si la canne est allégée grâce à la structure alvéolaire elle perd quelques pour cent, au maximum 10 %, de résistance à la flexion. Donc au lieu de 16/15, la résistance à la flexion de la zone d’assemblage représente entre 16/13,5 et 16/14 de celle de l’hexagone plein. On a donc plus de marge, ce qui donne la possibilité d’adoucir les angles de l’assemblage en biseau. Ces deux techniques vont bien l’une avec l’autre.
• Collage à l’Araldite (époxy) : Nous avons tous remarqué l’aspect blanc opaque du mélange bien remué des deux composants dû à de fines bulles d’air. On pourrait le qualifier d’époxy “ battu en neige ” ! Or il est certain que la résistance au décollement sera meilleure avec la résine pure, débarrassée de ces bulles. C’est pourquoi il faut chauffer le mélange jusqu’à ce qu’il retrouve la transparence d’un vernis. La polymérisation, également, se fera mieux. Ce conseil est particulièrement utile pour le collage des renforts et la protection des biseaux mais il est pertinent pour toutes les utilisations de cette résine.